Biographie

 

« Il avait un sens inné du rythme - racontait sa mère - et vivait en osmose avec la musique. Le soir, il s'endormait en chantant, et, le matin, on le savait réveillé quand il chantait  »

« Il y avait dans notre salon - se souvenait Michel - deux pianos à queue emboîtés l'un dans l'autre, qui prenaient une place monstrueuse, et qui m'ont laissé d'émouvants souvenirs, surtout lorsque ma mère et ma soeur y jouaient ensemble du Francis Poulenc. Ces pianos, on m'a très vite encouragé à y toucher et j'y ai rencontré le plaisir. Ma love story avec Mozart et... un peu plus tard, les Beatles. Mais je n'étais pas doué pour jouer les choses des autres; j'ai rapidement fait une allergie au solfège. À dix ans, j'ai arrêté la technique. De toutes les façons, la technique et l'académisme tuent la création. »

Michel se réfugie souvent dans sa chambre auprès de ses disques, et rencontre Ray Charles (« Je me passais 400 fois le petit 45 tours à la pochette blanche avec des lunettes noires »).

II écoute en boucle Buddy Holly et Jerry Lee Lewis, et Salut les Copains, à la sortie du lycée, sur Europe 1. Quand il attaque ses devoirs, un autre « Dieu » sur le Teppaz : Gershwin. «Ray Charles me mettait en transe, impossible de faire quoi que ce soit d'autre que danser ou frissonner.

Gershwin, lui, m'apportait l'harmonie, l'optimisme, l'équilibre. Il symbolisait la mixité des genres et la noblesse de la modernité.»

 

 

 Au lycée, l'élève Hamburger [prononcer AN-BUR-JÉ) n'a rien du cancre mais manque de mémoire.

Avec des copains de classe, il concocte quelques chansons : Jean Brousse écrit les paroles,

Jean-Philippe Saint-Geours joue de la guitare et Michel compose au piano et chante. Répondant à une annonce, en 1962, à quinze ans, il se présente avec toute sa bande devant Jacques Sclingand, directeur artistique chez Pathé-Marconi, qui recherche `les idoles de demain'. Michel sera le seul retenu. Quelques semaines plus tard, il entame l'enregistrement de son premier disque : Amour et soda sort début 63.

En trois ans et demi, jusqu'à la fin de l'année 66, sept 45 tours dont un tube : Tu n'y crois pas. Michel figure, certes, sur la mythique photographie des idoles gravée pour Salut les Copains par Jean-Marie Périer le 12 avril 66, mais ne partage ni leurs délires, ni leur insouciance.

Conformément aux exigences de sa mère, il passe son baccalauréat avec succès et consacre sa maîtrise de philosophie à L'esthétique de la musique pop... Son comparatif de deux albums de Jimi Hendrix laissera, selon lui, ses examinateurs si perplexes qu'ils ne pouvaient que l'en récompenser.

«J'ai fait de la philosophie parce que mon voisin était passionné par cette discipline - ironisait Michel et je n'ai poussé mes études que pour reculer mon service militaire.» N'empêche, Jacques Attali dira plus tard : « Il s'en défendait mais il avait une solide formation philosophique; il avait de l'intellectuel la marginalité, la distance, la curiosité, le goût de la lecture, la passion de l'écriture.»

 

 img1.gif

 

img2.gif

 

 

 

 

 

 

 

Ce qui est sûr, c'est que Michel, qui évoque volontiers ses auteurs de prédilection, n'a pas grand chose d'un yéyé et que sa rencontre, quelques mois auparavant, avec Ira Gershwin, le frère de son idole malheureusement disparue, l'a conforté dans sa conception de la musique. Sa carrière de chanteur, rien ne sert de la poursuivre tant qu'il n’aura. pas trouvé exactement la musique qu'il cherche en lui, et pour lui. Jacques Sclingand, son «découvreur», est d'accord mais ne veut pas le perdre. II lui propose de prendre en charge le secteur « nouveaux talents » de Pathé. Une responsabilité qu'il partage avec un autre directeur artistique, Claude-Michel Schönberg. Michel accepte.

Claude-Michel et lui s'enflamment dans un même objectif : faire bouger la musique en France. Ils refusent de sombrer dans le complexe anglo-saxon. L'auteur des Misérables se souvient : «Aujourd'hui on sait que Michel aura été un chef de file et un précurseur. Son oeuvre n'a pas fini de nous le prouver. Mais, déjà, en 66, il se démarquait de son époque et il suffisait qu'il se mette au piano pour qu'on découvre le talent à l'état pur. Son style s'impose d'ailleurs avec brio dans le premier succès qu'il a produit Quand on est malheureux chanté par une jeune femme, Patricia. »

Pendant cinq ans, sans renoncer aux facéties: fantaisies des vingt ans, Michel écoute des millier: de disques; il en concocte lui-même pour des amis tes aussi variés que Bourvil, Monty, Dani, Vanina Michel, Isabelle de Funès, ou... Poupougne et Chloé.

II produit, compose, enseigne, apprend. Tout l'intéresse tant qu'on lui laisse un espace de créativité, liberté. II signe sous le pseudonyme d'Hursel arrangements de Adieu jolie Candy, chanté par Yves Roze, alias Jean-François Michaël; il monte avec un Hollandais rencontré dans le métro un gigantesque canular : Jesus, interprété en anglais, présenté comme un succès venu des États-Unis, se vendra à près de deux millions de copies. Il se lance dans la musique de film (Mektoub et Paris top secret) et accepte les substantielles propositions d'Orangina (Secouez-moi, secouez-moi), qui vont lui permettre de financer sa première ouvre majeure, Puzzle, concerto pour piano, groupe pop et orchestre symphonique. Dédié tout naturellement à Gershwin, le disque ne connaîtra pas un grand succès; il recueillera tout de même quelques critiques élogieuses ; et Michel en sera heureux : « Je savais que ce n'était pas commercial, mais je voulais me faire plaisir. J'essayais de faire " balancer " les cordes et d'initier une sorte de mouvement de pop symphonique. Ce fut une bonne expérience personnelle.»

 

Ces cinq années ont aussi permis à Michel rencontrer Véronique Sanson : avec sa soeur,

Violaine, et leur ami François Bernheim, ils avaient monté le groupe Les Roche-Martin, et enregistré deux disques sous la houlette de Michel et Claude-Michel. Le succès ne fut pas au rendez-vous; l'amitié, si. Un amour propice à la confiance mutuelle naît et favorise l'envol de la carrière de Véronique, même si l'échec de son premier 45 tours solo Maria de Tusha lui vaut une rupture de contrat avec Pathé.

De toutes façons, chez Pathé, Jacques Sclingand prend sa retraite et Michel change d'employeur. II devient directeur artistique chez WEA (WarnerElektra-Atlanticj, nouvelle succursale française de la Warner, dirigée par Bernard de Basson.

«  C'était la première fois - raconte ce dernier que je voyais un producteur qui savait à la note près, au son près, ce qu'il voulait précisément. »

Ce qu'il veut, d'abord, et obtient aussitôt, c'est l'engagement de Véronique Sanson par WEA.

 

Limpide, Michel aime néanmoins parsemer de zones d'ombre sa propre quête d'identité. C'est ainsi que, revenant subitement à l'interprétation, il publie alors un 45 tours en anglais, Words, sous son vrai nom, Michel Hamburger!

Directrice de programmes radiophoniques, Yvonne Lebrun apporte un éclairage amusé :  « Au début des années 70, Michel n'était pas le roi du paradoxe, mais son empereur. Lunaire, discret mais précis et confortable. Ne sachant ni se coiffer ni s'habiller et n'ayant aucun sens de l'orientation mais, en même temps, ponctuel et sûr de lui. »

 

Plutôt solitaire. Parce que sans cesse empli d'inspiration. Dès la fin des années 60, on voit naître le clan Berger. Avec trois lieutenants : Michel Bernholc, Gérard Kawczynski et Claude Engel.

Bernholc est un pianiste virtuose rencontré lors d'une séance pour Isabelle de Funès. II participe avec générosité à l'album Puzzle. Co-arrangeur à cette époque sur tous les travaux entrepris par Michel, ils forment ensemble le tandem magique de ce qui sera une nouvelle musique en France.

Kawczynski, qu'on appelle Crapoutchik, guitariste surdoué, trouve à Michel un surnom décapant « l'implacable ». II résume ainsi sa personnalité.

Quand je l'ai connu, j'ai d'abord été frappé par sa fragilité apparente. Puis, j'ai découvert ce qu'elle cachait : rage de vaincre, obstination, mais toujours empreinte d'un calme déconcertant. Devant la supériorité supposée des Anglo-Saxons, Michel n'a jamais complexé. II s'est toujours dit :

« On peut faire mieux », et il innovait avec génie.

Musicalement, il lui arrivait souvent de commettre des hérésies : elles devenaient aussitôt des évidences!»

 

L'heure est en tout cas venue de s'atteler à deux albums, qui vont révolutionner la chanson française : sons, rythmique, unité, émotion : celui de Véronique Sanson, Amoureuse, paraît le 20 mars 1972 et Iivre sa moisson de tubes (Mariavah, Bahia, Amoureuse, Besoin de personne). Celui de Michel restera inachevé près d'un an.

Les deux artistes se sont déjà mis au travail pour un autre 33 tours de Véronique (De l'autre côté de mon rêve), mais un soir d'octobre, elle ne se rend pas à la séance prévue en studio. Elle a rencontré Stephen Stills (du groupe Crosby, Stills, Nash and Young). Cet abandon terrasse Michel et libère peut-être sa pleine dimension d'artiste.

II se jette dans un travail acharné et termine seul, en quelques semaines, la production de l'album de Sanson et son premier album, Michel Berger.

Ce disque sans nom que tout le monde appellera « Coeur brisé »installe deux constantes du style Berger : la pudeur d'un discours simple, précis et percutant, l'originalité des rythmiques au profit d'incontournables mélodies. Cet homme fait danser l'évidence. Plus tard, Michel ironisera sur le succès relatif de ce premier opus : « Ce coeur déchiré sur la pochette donnait une impression formidablement négative. Il m'aura tout de même appris que l'inconscient avait le sens de l'humour puisque j'avais écrit Donne-moi du courage pour une jeune femme qui allait me quitter six mois plus tard!»

 

N'empêche, il y a des petits joyaux sur ce disque et l'un d'entre eux va orienter son destin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

France Gall, reconnue depuis dix ans et que les doutes assaillent, entend Attends-moi à la radio. Le choc est immédiat : « J'ai arrêté ma voiture et j'ai monté le son. J'étais sous le charme. J'ai pensé que j'aimerais travailler avec lui. »

 

Autre chanteuse confrontée au besoin de se renouveler, Françoise Hardy craque, elle aussi, pour l'album de Michel. Elle le sollicite. Ils se rencontrent. Michel accepte de produire son disque et de lui écrire quelques chansons. II l'appelle une semaine plus tard : «Je crois que j'ai quelque chose.» II vient de finir Message personnel.

Sur sa demande, elle s'attèle à l'écriture d'un texte parlé au début de la chanson, et trouve le titre.

 

En studio, l'enregistrement s'avère difficile. Mais le résultat est somptueux. II propulse le talent de Michel sur toutes les ondes au moment où il vient de sortir un nouveau single Écoute la musique. Les deux titres culminent dans toutes les playlists.

C'est dans une émission de radio que Michel va, pour la première fois, « rencontrer» France Gall. Ils se sont en fait déjà croisés plusieurs fois, sans se voir. Cette fois, galvanisée par le plaisir que lui a procuré l'album de Michel, France lui parle Elle aimerait qu'il la conseille.

II lui donne son adresse et, un matin, elle sonne chez lui avec la cassette des nouveaux morceaux que. ses producteurs viennent de lui faire enregistrer.

« Il les a trouvé nuls - se souvient France. C’ était mon avis, j'ai ainsi trouvé le courage d'arrêter ce projet. »

Rapidement, les rendez- vous entre les deux jeunes gens se multiplient. Chacun entrevoit chez l'autre un univers qui le surprend, l'attire et dont il sent intuitivement qu'une certaine idée du bonheur pourrait lui être associée. «Je ne m'en suis pas rendue compte tout de suite, mais je tombais amoureuse et je crois que ça ne pouvait pas se passer autrement. » De son côté, Michel n'est pas moins troublé. II le racontera plus tard : «Je n'aimais pas ce que représentait France dans le paysage public. A part celles écrites par Gainsbourg, je trouvais que ses chansons symbolisaient une « variété» dépassée et manquant d'âme. Mais, elle, justement, au- delà de sa beauté, avait de l'âme dans le moindre de ses propos, dans le plus rieur de ses battements de paupières. »

II lui demande de participer à l'une des chansons de l'album qu'il est en train d'enregistrer et là, l'artiste le séduit : «Une prise a suffi pour me convaincre. Son swing, sa couleur, sa sensibilité... j'ai réalisé à quel point son talent était sous-exploité.»

À propos de cette chanson faussement prophétique intitulée Mon fils rira du Rock'n'Roll, Michel dira : «Longtemps, il y a eu la chapelle des chanteurs réalistes, puis Piaf, Brel, Brassens. Le rock était maudit. Maintenant, la chapelle du rock exclut et méprise souvent les chanteurs de variétés. Je préfère qu'on aime la musique tout court. On évolue avec, partout dans le monde. »

 

 

 

 

Michel ne propose pas pour autant à France d'écrire pour elle. II est vrai qu'il termine son propre album Chansons pour une fan, porté par le single Écoute la musique, qui sort début 74.

L'album est bleu et s'ouvre sur un piano aux contours blancs. Michel y offre la palette des couleurs qui l'accompagneront dans toute son œuvre. Son piano fait des chansons pour nous.

 

 En mars 1974, Michel propose à France une chanson qu'il avait écrite pour lui en pensant à elle: La déclaration. France est séduite. Pourtant, les maisons de disques la refusent. Michel convainc Bernard de Bosson, le PDG de Warner, de signer avec une artiste qui avait repris sa liberté quelques mois plus tôt ! Tous ces efforts vont trouver une récompense immédiate. En deux semaines, le disque atteint cent mille exemplaires.

 

Ce succès, c'est aussi une sorte de feu vert pour bien autre chose qu'une réussite professionnelle, « On avait tout le temps envie d'être ensemble dit France - et ce disque était le prétexte idéal pour le faire sans que cela se remarque trop! D'ailleurs, c'est aussi pour un projet de travail que Michel m'a demandé de l'accompagner en août à Los Angeles.» Là-bas, les deux Michel (le duo Berger-Bernholc) enregistrent avec la participation de France une histoire musicale (Angelina Dumas), inspirée à Michel par l'enlèvement de Patricia Hearst, petite fille du magnat de la presse.

Le disque ne sortira jamais, sauf deux singles enregistrés en octobre à Londres : celui de France Mais, aime-la. Celui de Michel : L'amour est là.

Quelques mois plus tard Michel prépare son nouvel album Que l'amour est bizarre : Dieu que l’ amour est bizarre-Hier je te croise sans te voir-Hier je te parle sans savoir-Que je t’ aime déjà.

On comprend pourquoi Michel répétait aux journalistes « Je refuse de parler de ma vie privée. Tout est dans mes chansons. » Dans celles qu’ il interprète comme dans celles qu’ il écrit pour France.

Le premier album de France Gall signé Berger rencontre immédiatement les faveurs du public. Avec, bien sûr, La déclaration, mais aussi Comment lui dire, Ce soir, je ne dors pas et La chanson d'une terrienne, véritable défi de plus de six minutes. C'est avec la voix de France que Michel s'impose dans le coeur du public. Et comme si cette année 75 n'avait pas été assez chargée, Michel compose une musique de film pour Sérieux comme le plaisir du réalisateur Robert Benayoun.

II ré-écoute les maquettes d'Angelina Dumas et ne les trouvant définitivement pas abouties, il prend contact avec Luc Plamondon.

Début 1976, comme chaque année dorénavant, Michel publie un nouvel album intitulé Mon piano danse. On y retrouve France (Mon bébé blond) et les Beatles (La génération du Sergent Poivre). II y fait référence à son enfance : Les tramways de Carouge et Suzanne. Une thématique majeure émerge de ce disque : le rôle de la musique.

« On peut dévier une bonne partie de la violence du monde avec la musique - expliquait-il alors. En concert, par exemple, on ressent une sorte de formidable violence pacifique que les gens ont envie de partager. C'est une violence positive, une énergie authentique, qui se libère sur scène mais aussi dans la salle et qui purifie l'artiste comme ses spectateurs. »

 

Pour promouvoir cet album, Gilbert et Maritie Carpentier consacrent à Michel un show d'une heure. II profite de cette chance, et leur soumet l'idée d'un conte musical : Émilie ou la petite sirène (adaptation faite avec Franck Lipsik du conte d'Andersen La petite sirène) se jouera en direct le 22 mai 1976, avec Françoise Hardy, Nicole Croisille, Marie-France Pisier, Christophe, Eddy Mitchell, Patrick Bouchitey et France.

L'émission marche. La chanson qu'y interprétaient France et Michel ensemble, ça balance pas

mal à Paris - leur premier et dernier duo jusqu'à l'album Double jeu - va devenir un tube. Leur complicité y fait merveille et séduit.

 

Ils se marient en secret un mois plus tard. Le couple passe l'été à San Francisco, avide de musiques qui sonnent et d'horizons nouveaux.

Dès leur retour, Michel entame l'écriture et la réalisation du nouvel album de France. Un disque concept, Dancing disco, où figure Musique, immense succès, le premier disque d'or du couple. La direction de WEA le fait remettre à France à New York par Sam Goody, le disquaire mythique. On y trouve également la chanson culte Si maman si.

 

En mai 77, Michel et Luc Plamondon louent une villa au cap d'Antibes pour travailler deux mois durant à l'écriture d'un opéra-rock.

« Il manquait de la force et de la violence à ce qu'il avait écrit pour Angelina Dumas - se souvient France - il lui fallait un auteur capable de lui apporter cela.»

 

Curieusement, c'est à Montréal que l'idée forte de Starmania est trouvée : en se promenant dans les artères souterraines de la ville, Michel réalise que ce type de galeries marchandes encore inconnu en Europe pourrait envahir le monde, et il imagine que ces no man's land sans soleil squattés par des bandes de zonards prêts à défier le monde.

 

Décor planté, auteur recruté, il ne reste plus qu'à écrire. Même si l'idée de travailler avec Michel le ravit, Luc Plamondon n'est pas régi par la même précipitation de créer que Michel. «Dans la maison du cap d'Antibes -raconte Luc - il m'a placé sous contrôle et obligé à passer à la vitesse supérieure. »

 

Dès les premiers jours, Luc écrit quelques lignes; Michel récupère la feuille de papier, et compose sa mélodie sur-le-champ. La première chanson est née : Les uns contre les autres.

 

Au-delà de l'écriture, il fut très vite décidé de confectionner un casting franco-québécois avec des inconnus ou presque. Ni Diane Dufresne, la chanteuse égérie de Luc, ni France ne devaient participer à l'aventure.

 

La québécoise Fabienne Thibeault (Marie-Jeanne) est la première engagée. Le héros masculin,Daniel Balavoine (Johnny Rockfort), est français mais méconnu du grand public même si son album Les aventures de Simon et Gunther Stein n'est passé inaperçu aux yeux et surtout aux oreilles de Michel. Nanette Workman (Sadia), Claude Dubois (Zéro Janvier), et Éric Estève (Ziggy) complètent la distribution mais les deux auteurs butent sur l'attribution des rôles de Cristai, présentatrice de show télé, et de Stella Spotlight, star sur le déclin. Après plusieurs mois de vaines auditions, ils doivent se rendre à l'évidence : ces rôles sont faits pour France et Diane.

Le 16 octobre 1978, l'album est dans les bacs. Un mois plus tard, il est disque d'or en France numéro un des ventes au Canada. Le 14 Novembre un show télé produit par Marie-France Brière présente l'opéra-rock aux Français, mais sans France. Le jour même, elle a accouché et donné à Michel son premier enfant : Pauline.

L'année 79 commence tout aussi bien. Michel nage dans le bonheur de la paternité; les chansons de Starmania se transforment en tubes les unes après les autres !

 Avec 96 000 spectateurs et 400 000 albums vendus, l'opéra-rock du duo Berger-Plamondon s'impose, du 10 avril au 3 mai au Palais des Congrès comme un événement musical. Michel se lance alors dans l'écriture de deux nouveaux opus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Celui pour France, intitulé Paris, France sera propulsé au sommet avec le titre II jouait du piano debout, une chanson sur la différence inspirée par Jerry Lee Lewis.

Son propre album, Beauséjour, lui offrira son premier grand hit La groupie du pianiste, plébiscité par le public qui l'entend sur scène ou à la télé alors qu'il ne figure sur aucun single. D'autres joyaux figurent sur ce disque : Celui qui chante, Y'a vraiment que l'amour qui vaille la peine avec Daniel Balavoine, et Quelques mots d'amour.

Chaque semaine, en tout cas, une concurrence complice se joue en alternance en tête des hits parades. Tantôt Michel. Tantôt France. Deux variations sur le thème du clavier, pour l'été.

D’autant que du 30 juin au 5 juillet, entouré de ses musiciens, mais aussi des 40 instrumentistes de l’ orchestre des Concerts Colonne, Michel fait sur scène de fulgurants débuts. Une expérience qu'il n'aurait osé espérer aussi forte : « Je sais que je vais me prendre tous les soirs deux heures de bonheur absolument gigantesque. Un plaisir physique totalement unique. La première fois,c’ etait à Genève. Je rodais le spectacle du Théâtre les Champs-Élysées. Il y avait 2000 personnes dans la salle et elles m’ ont offert un retour extraordinaire. »

 

Toujours en cet été 80, Michel reçoit un coup de téléphone d'Elton John : «J'adore la voix de France et vos deux albums respectifs sont formidables. Ne les trouvant plus à Saint- Tropez., je suis même allé jusqu'à Nice pour me les procurer.J'aimerais qu'on se voie le plus vite possible, car je voudrais que vous écriviez un album pour votre épouse et moi.» France et Michel sont ébahis. Deux jours plus tard ils sont chez Elton John dans le Sud et Michel lui propose un premier titre intitulé Donner pour donner. Elton réserve un studio àLos Angeles et trois places d'avion. Michel écrit un second morceau Les aveux. À peine sorti, le single est en tête des hit-parades.

On prend alors date pour terminer l'alburn après les vacances, et Michel annonce pour France et lui une tournée conjointe. Rendez-vous manqués mais pour la plus noble des causes : France attend un fils. Raphaël naît le 2 avril 1981. Faute de voyage, Michel en profite pour écrire et composer deux albums supplémentaires !

Dans Tout pour la musique, titre de l'album de France, Résiste et Diego, libre dans sa tête .Pour l'anecdote, précisons que Résiste et Tout pour la musique ont été écrites à la dernière minute, en complément. « Certaines choses mûrissaient en lui pendant longtemps - confie France mais un quart d'heure ou vingt minutes pouvaient lui suffire pour les écrire. »

 

Son album, Beaurivage, recèle un tube, Mademoiselle Chang, une chanson lancinante, envoûtante, quasi guerrière, inspirée par le déracinement des réfugiés et les premiers boat people.

D'autres chansons graves ponctuent l'album : Ballade pour une Pauline triste, Antoine, en hommage à l'ami d'enfance - à qui il avait déjà consacré une de ses premières chansons, Jim s'est pendu, Maria Carmencita, sourde et muette, en souvenir de Jeanne, fille du philosophe Henri Bergson.

 

Année 82, fin de l'insouciance : mort de son frère et découverte de la maladie incurable de sa fille

Pauline. Désormais, Michel et France alterneront leur carrière une année sur l'autre afin que l'un d'entre eux soit toujours disponible.

Du 13 au 25 avril, à l'Olympia, Michel offrira un spectacle sobre, précis, épuré... II prolongera de quatre jours, puis s'envolera vers les États-Unis, afin d'y concrétiser un rêve. Il écrit et réalise un album pour le marché américain où interviennent plusieurs vedettes US : Jennifer Warnes, Bill Withers, David Palmer et Jeff Porcaro. C'est un hommage majoritairement instrumental aux musiques locales. Prévu pour s'appeler A french man in New York, le disque s'intitulera finalement Dreams in stone, et connaîtra d'étranges problèmes de droits contractuels dès que certaines radios commenceront à assurer son succès. Exception culturelle à l'américaine ! Michel en souffrira à nouveau quelques mois plus tard lorsque sollicité par Diana Ross, fan de Starmania, pour lui écrire un album, la maison de disques de la diva s'opposera, au dernier moment, à ce qu'un Français compose pour elle.

 

Déçu, Michel décide alors d'aller découvrir l'Asie. Auparavant, il renoue avec le cinéma et signe la musique du film de Jean-Paul Rappeneau Tout feu, tout flamme, avec Yves Montand, Isabelle Adjani et Alain Souchon.

 

Dès son retour d'Asie, Michel compose, enregistre et publie en des délais records son septième album, Voyou. II n'aime pas l'image bourgeoise et vaguement chic que la plupart des médias diffuse à son propos. Alors, il se visse une casquette sur le crâne et veut qu'on comprenne sa volonté d'osmose, de nivellement des différences. Mais la manière est un peu maladroite. N'empêche, ce single constituera une de ses meilleures ventes avec La groupie du pianiste et Mademoiselle Chang.

On trouve sur cet album Les princes des villes, un constat ironique sur la cruauté et la superficialité du monde du show business, ainsi que Lumière du jour en témoignage de son amour pour France.

 

Les sonorités de ce disque ont pris du muscle. La musique et les textes ont gagné en dureté et en violence : « J'ai envie - dit Michel - d'aller vers des choses plus essentielles et plus centrées sur la rythmique.» Pour le Palais des Sports, il inventera et fera fabriquer une guitare-clavier.

 

Pour le nouvel album de France, Débranche, qu'il enregistrera à Los Angeles, il décide de ne plus jouer de piano, de ne travailler qu'à partir des guitares et des synthétiseurs.

Survient alors une rencontre inattendue, et majeure. Johnny Hallyday demande à Michel, lors d'un dîner, de lui écrire des chansons. Le lendemain matin, Michel accepte mais ce sera un album ou rien. Dans la nuit, il a déjà écrit Le chanteur abandonné. Suivront Quelque chose de Tennessee et Rock'n'Roll attitude, la chanson qui donnera son esprit au disque et qui deviendra une expression du langage populaire. L'enregistrement se déroule à Montréal et à Paris dans un climat idéal de confiance et d'admiration réciproques. Les deux hommes deviennent amis sans s'en rendre compte.

«Une prise avec Johnny - relatait Michel - et tout est dans la boîte avec, en prime, des frissons sur le corps. L'amour mutuel du travail de l'autre, voilà ce qui nous a unis avant que nos personnalités s'avèrent bien moins différentes qu'on aurait pu le croire.»

«Berger est quelqu'un d'attentif humainement qui, professionnellement, sait adapter son talent

à la personnalité des autres.» Deux ans après la sortie de son album, Johnny demandera à Michel de le mettre en scène à Bercy.

En février 1985, Michel publie son septième album Différences, un disque positif et humaniste qui correspond, en tout cas, parfaitement au regard que Michel porte sur les difficultés du monde.

On y trouve Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux, chanson symbole d'un citoyen du monde de qui, avant sa participation aux Restos du coeur a tout de suite adhéré à l'idée de son ami Daniel Balavoine : aider les pays africains en récoltant, à travers l'association Action-École, des produits de base (riz, sucre, farine) dans toutes les écoles.

On y trouve aussi Si tu plonges, conseil à son fils. Pour Michel, l'année 86 commence par une tragédie. Le 14 janvier, au Mali, son ami, son autre frère, Daniel Balavoine se tue dans un accident d’ hélicoptère. Trois mois plus tard, au Zénith, chaque soir Michel chante La minute de silence qu'ils interprètaient en duo avec lui sur l'album Voyou. Chaque soir, il demande au public de ne pas applaudir le morceau mais d'observer à son tour une minute de silence. Deux mois passent encore, et c' est Coluche qui s'en va à son tour.

 

Début 90, Starmania fait escale au Zénith puis s'envole pour Moscou. Le soir de la première, le silence du public entre les chansons tétanise Michel («Aucune note n'avait encore été entendue en Russie, j'ai cru qu'on s'acheminait vers un bide monumental») mais, au final, l'ovation est énorme, impressionnante ! Les deux auteurs sont très émus.

Dès son retour à Paris, Michel se remet à la finition de son nouvel album. II n'en a plus sorti depuis près de cinq ans. En studio, il fait alors part de réflexions sur son métier, sa course permanente, son sentiment de plus en plus urgent d'avoir quelque chose à laisser: «Ces trois dernières années je me suis parfois mis un peu en sommeil. Mais au fond, je demeure poussé au travail part une sorte de besoin viscéral. Comme si le fait d' avoir un don impliquait une responsabilité. Un don. Rien que le mot prouve que l'on n'a pas à en être fier. On a simplement reçu des choses et il s'en montrer digne. Mériter ce qu'on porte en soi. Voilà pourquoi l'insuccès m'angoisse. C'est comme l'amour. Si on ne sait pas le transformer en bonheur, à quoi sert-il ? Une chanson qui ne marche pas est une chanson inutile. Si elle n'a pas su communiquer, c'est qu'elle n'est pas réussie. Faire un disque, d'ailleurs, ce n'est pas en soi quelque chose de très intéressant. Ce qui est intéressant c'est que, bien au-delà des chiffres, il fonctionne et que les gens l’ aiment. »

La chanson choisie pour donner son titre à l'album s'intitule ça ne tient pas debout. Ce que rien n'est réglé entre la fragilité de l'artiste et les travers de la vie. Ce qu'il évoque au micro de France Inter: « On ne peut pas dire qu'on soit heureux ou malheureux, c'est un truc entre les deux. Un truc où il y a des moments de bonheur extraordinaires et des moments de malheur. Et le mélange de tout ça, ça fait faire des chansons ! »

 

« J'aimerais parfois retrouver la nature telle qu'elle était avant que l'homme la pollue et la détruise-évoque alors Michel dans la chanson Le Paradis blanc.

Je rêve d’ étendues blanches, de mondes de pureté et de silence. » L’ album est dédié à un handicapé virtuel que Michel surnomme David.

« Un jour - racontait-il - j'ai vu un jeune handicapé qui ne pouvait plus bouger du tout mais qui écrivait une chanson sur son ordinateur en disant des choses incroyablement fortes. J'ai été bouleversé par ce paradoxe de quelqu'un d'immobile qui allait faire danser les autres. »

A l'automne, le 22 septembre, La légende de Jimmy voit le jour au Théâtre Mogador. Diane Tell, Navette Workman, Tom Novembre et Renaud Hantson sont mis en scène par Jérôme Savary et prêtent leur talent à cette fiction lyrique bâtie autour du mythe de James Dean. Michel considère alors qu'il a signé son oeuvre la plus aboutie.

Le public ne le suit qu’ à moitié et la guerre du Golfe n'arrange rien. Le spectacle s'arrête le 17 février. Aussitôt Michel repart sur deux projets qui vont l'occuper à plein temps tout au long de cette année 91.

 

Le premier est la production discographique d'une version anglaise de Starmania. Depuis quinze ans, le rêve de conquérir l'Amérique est demeuré intact. Avec un auteur-adaptateur comme Tim Rice et des interprètes aussi prestigieux que Kim Carnes, Cyndi Lauper, Nina Hagen, Céline Dion, Tom Jones, Peter Kingsbery, Ronnie Spector ou Willy Deville, Tycoon -c'est son titre - pourrait, en cas de succès se voir ouvrir les portes de New York.

 

Le second projet est un album commun Berger-Gall. La rumeur de sa mise en route se répand. Avant de lui donner corps, Michel est allé à Londres pour y signer l'implantation de Tycoon. II s'en réjouit ouvertement : « Je souffre du côté volatile de la chanson et je trouve fabuleux qu'une oeuvre puisse se survivre à elle-même. Fabuleux, aussi, qu'elle puisse franchir des frontières. Tycoon, à Londres, s'ils acceptent de comprendre qu'il s'agit d'un opéra-rock sans le strass de leurs comédies musicales habituelles, je vais être le plus heureux des hommes. Comme je l'ai été quand certains ont repris mes chansons, leur offrant ainsi une seconde vie. Je repense à Johnny, par exemple, avec DiegoL’ album Tycoon sortira en mai 92. Cinq semaines plus tard, le 22 juin, date anniversaire de leurs 16 ans de mariage, France et Michel présentent sur la scène du New Morning en avant-première leur album Double jeu.

 

On croyait France en retrait de ce métier, on sentait Michel impatient, lui aussi, de créer autrement (long métrage, spectacles...), on les savait tous deux hostiles à toute médiatisation de leur couple et non seulement ils publient ce disque fusionnel mais ils annoncent déjà une scène (à la Cigale du 13 octobre au 1er novembre) suivie d'une tournée dans toute la France et d'un Bercy, en bouquet final.

Michel s'explique : « Nous avons trouvé cette manière de repartir à l'aventure. Non seulement le fait d'être ensemble sur scène pour la première fois nous revigorait, mais en plus, la volonté d'osmose entre nos goûts respectifs pouvait déboucher sur quelque chose de neuf, de différent, d'intéressant. »

C'est tout à fait le cas. Même si l'enregistrement, difficile, a duré neuf mois. Le bébé ressemble autant à sa mère qu'à son père. Ses parents, une fois de plus se sont montrés novateurs.

Heureux de s'être offert de nouvelles émotions, ils décident de passer le mois de juillet dans leur maison de Ramatuelle. «.J' ai eu Michel au téléphone à cette époque - se souvient Luc Plamondon. Il semblait détendu, heureux de la tournée qu'il allait faire avec France. II rêvait d'être joué dans un véritable opéra.»

Ami de toujours, Philippe Chatiliez confirme les projets d'avenir de l'artiste : « Michel n'était qu'au début de son oeuvre et je pense qu'elle allait devenir hors normes. Il allait exploiter en dehors de la chanson la richesse du conflit entre le rocker et le bourgeois qui le caractérisait. On peut être idéaliste sans être marginal. »

 

 

Le 2 août 1992, veille du retour à Paris, le coeur de l'artiste a lâché. À l'aube, toute la France a été assommée par la nouvelle.